Pixy Liao : “Je crée de l’art à partir de mon expérience de jeune fille ayant grandi en Chine, et autour de mon identité de femme dans le monde d’aujourd’hui”.

Pixy Liao, "Red Nails", 2014. Avec l'autorisation de l'artiste.

Pixy Liao(1979)est née et a grandi à Shanghai. Elle vit aujourd’hui à New York, après avoir obtenu un master en beaux-arts de l’Université de Memphis. Ses photographie, ses sculptures et ses vidéos explorent, avec humour et dans des couleurs pop, la question de l’identité et du genre. Elles remettent en question les stéréotypes et les représentations conventionnelles de la femme, des relations amoureuses et du couple hétérosexuel.

Les photographies de Pixy Liao ont été montrées lors d’expositions collective au Xiangning Art Museum (Chine), au Musée du Sexe (New York), à Metro Pictures (New York), First Draft Gallery(Sydney), Asia Society (Houston),mais ont également fait l’objet d’exposions solo à la Galleri Vasli Souza(Suède)et à la galerie Leo Xu Project (Shanghai). Pixy a par ailleurs participé à des résidences artistiques à Londres et aux Etats-Unis. Elle a obtenu plusieurs bourses comme le NYFA Fellowship in Photography, le En Foco’s New Works Fellowship et le prix LensCulture Exposure.

En hiver 2018, Pixy Liao présente sa première exposition publique au festival international de photographie Jimei x Arles à Xiamen, où elle est récompensée par le Jimei x Arles – Madame Figaro Women Photographers Award.

La jeune maison d’édition chinoise Jiazazhi a publié un livre avec Pixy à l’occasion des 10 ans de son projet Experimental Relationship. Le livre, intitulé Experimental RelationshipVol. 1 2007-2017, a reçu une mention spéciale du jury du prix Aperture/Paris Photo PhotoBook Award à Paris Photo 2018.

Pixy Liao, “Soft Heeled Shoes », 2013, talon en impression 3D, chaussures en suède, métal, 18 x 8 x 18 cm. Avec l’autorisation de l’artiste.

DoorZine : Dans vos séries Experimental relationship et For Your Eyes Only, vous explorez la question de l’identité de genre et de la représentation de la femme dans le monde contemporain. Ce sujet paraît central dans votre travail. Dans Soft-heeled shoes (2013), vous portez des chaussures à talon qui ont la forme du pénis de votre petit-ami. Dans Breast Spray (2015), vous utilisez un sein en silicone pour asperger votre petit-ami de lait (comme on peut le voir dans la vidéo Milking the garden), vous appropriant ainsi ce qui, dans la féminité, est sexualisé, pour en faire une arme paradoxale — qui nourrit et attaque à la fois. Pourriez-vous développer votre point de vue sur ce sujet ?

Pixy Liao: Je crée de l’art à partir de mon expérience de jeune fille ayant grandi en Chine, et autour de mon identité de femme dans le monde d’aujourd’hui. Je me pose pas mal de questions sur le fait que beaucoup de personnes disent ressentir les mêmes choses alors que moi, je ne les ressens pas du tout. Par exemple, pourquoi les chaussures à talons sont-elles si prisées, alors qu’elles ne représentent qu’un instrument de torture pour moi ? Ou encore, pourquoi les femmes ne devraient-elles être considérées que comme des mères et des épouses ? Est-ce que je suis moins femme que les autres ? C’est à partir de tous ces doutes accumulés au fil des années que j’essaie, pour moi-même, de répondre à ces questions dans mon travail.

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Pixy Liao, "Start Your Day with a Good Breakfast Together", 2009. Avec l'autorisation de l'artiste.

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Pixy Liao, "Welcome to the Gates of the New Era", 2014. Avec l'autorisation de l'artiste.

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Pixy Liao, "How to Build a Relationship with Layered Meanings", de la série "Experimental Relationship". Avec l'autorisation de l'artiste.

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Pixy Liao, "Red Cardigan", de la série "For Your Eyes Only", 2014. Avec l'autorisation de l'artiste.

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Pixy Liao, "It’s never been easy to carry you", 2013.

DoorZine : Dans les deux séries photos, Experimental Relationship et For Your Eyes Only, exposées à Jimei x Arles, vous dévoilez au public votre vie privée. Vous vous représentez en photo avec votre petit ami : on voit vos corps, votre couple, votre intimité. Partager votre intimité n’est pas un problème pour vous ?

Toutes mes photographies sont mises en scène. Même si ces images donnent l’impression d’être intimes, elles sont créées avec l’intention d’être montrées en public. Quand nous apparaissons sur les photos, nous jouons un rôle face à l’objectif, pour fabriquer une image. Nous ne sommes pas complètement nous-mêmes.

DoorZine : Pensez-vous qu’il est important d’être à la fois devant et derrière l’objectif ?

Oui, je pense que pour ce projet, il est important d’être à la fois devant et derrière l’objectif. Derrière l’objectif, je suis la photographe, je dirige la scène. Devant, je joue un rôle que j’ai imaginé. C’est important que je sois à la fois la photographe et le modèle, parce que ce projet émane de ma vie réelle.

Pourquoi avoir appelé cette série Experimental relationship ?

Au départ, en tant que femme chinoise, être en couple avec un homme plus jeune, japonais, en plus, ça ne semblait pas être quelque chose qui pouvait durer. Donc j’ai décidé d’appeler ça une expérience — juste pour voir combien de temps ça allait durer. Je pense qu’en général, toutes les relations sont plus ou moins des expériences.

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Pixy Liao, "Play Station", de la série "For Your Eyes Only", 2013. Avec l'autorisation de l'artiste.

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Pixy Liao, "Ping-Pong Balls For Your Eyes Only", 2014. Avec l'autorisation de l'artiste.

“C’est important que je sois à la fois la photographe et le modèle, parce que ce projet émane de ma vie réelle.”

Pixy Liao

DoorZine : Cette série est exposée pour la première fois dans votre pays natal, la Chine, de façon publique: que ressentez-vous? Comment avez-vous travaillé sur le concept de l’exposition avec la commissaire, Holly Roussell?

C’est la première fois que je montre ce projet dans un festival de photographie, dans un contexte public en Chine. Pour être honnête, j’ai beaucoup hésité à le montrer. D’expérience, j’évite plutôt d’exposer ce projet dans des festivals de photographie chinois, à cause de la censure et de l’accueil du public. Mais à ma grande surprise, cette fois-ci, nous n’avons pas eu de problème de censure. Et en parlant aux visiteurs,j’ai été heureuse de me rendre compte que beaucoup de gens, de tous les âges, étaient intéressés par mes photos, avaient un esprit beaucoup plus ouvert qu’il y a quelques années. Je suis contente de voir que Jimei x Arles a réussi à créer un vrai festival de photo international en Chine.

Quand Holly m’a contactée pour l’exposition, je n’étais pas encore sûre de vouloir montrer publiquement ce projet en Chine. Heureusement, elle m’a convaincue de participer. Holly a beaucoup travaillé et elle est à l’origine de pratiquement tout l’aménagement de l’exposition. Je n’ai fait qu’émettre quelques suggestions pour le choix des photos. Elle a eu une très bonne idée, celle de montrer deux de mes projets ensemble et d’utiliser un papier peint que j’ai dessiné pour séparer les deux projets. Je trouve le résultat très satisfaisant.

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Vue de l'exposition de Pixy Liao au festival international de photo Jimei x Arles 2018.

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Vue de l'exposition de Pixy Liao au festival international de photo Jimei x Arles 2018.

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Vue de l'exposition de Pixy Liao au festival international de photo Jimei x Arles 2018.

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Pixy Liao et la curatrice Holly Roussell au festival Jimei x Arles 2018

DoorZine : Vous avez gagné le prix Jimei x Arles – Madame Figaro Women Photographers Award : cela change-t-il quelque chose pour vous, et pour votre travail?

J’étais très émue de gagner le prix Jimei x Arles – Madame Figaro Women Photographers Award. C’est vraiment un grand honneur. Tout s’est déroulé très rapidement. J’avais à peine réalisé que j’avais gagné que j’ai été immédiatement sollicitée par la presse pour de nombreuses interview,juste après la cérémonie de remise du prix. Encore aujourd’hui, je reçois beaucoup de demandes des médias. J’espère quand même pouvoir maintenir mon rythme de vie et de travail,c’est à dire vivre normalement et travailler chez moi. Mais j’ai aussi vraiment hâte de travailler avec Madame Figaro sur la série mode que je dois shooter pour eux et de pouvoir montrer mon travail à Arles l’année prochaine.

DoorZine : Qu’en est-il de votre petit ami? Ce n’est pas la première fois que vous vous servez de lui dans votre art. Dans A collection of penises,vous lui aviez demandé de créer des pénis de la forme de son choix. Comment Moro voit-il son rôle dans votre travail?

Moro est une perle rare!Il a accepté d’être mon modèle dès le début. De façon générale, il est toujours partant pour participer à mes projets. C’est un musicien. Et c’est un homme très créatif, fan d’art contemporain. Quand je lui ai proposé de créer les 100 pénis, je voulais qu’il les crée en laissant libre cours à son imagination. Il s’est bien amusé à créer tous ces pénis de formes différentes. Quant aux photos,ça fait maintenant 12 ans que l’on en fait. Je pense qu’aujourd’hui, il voit cela comme une partie de notre vie de couple, ou comme quelque chose d’amusant que l’on fait ensemble. Quand j’arrête de faire des photos pendant un moment, il m’encourage à continuer, à reprendre.

Pixy Liao recevant le prix Jimei x Arles – Madame Figaro Women Photographers Award.

DoorZine : Vous dites que parce que votre petit ami est japonais et vous êtes Chinoise, ce projet représente aussi une “relation d’amour et de haine”. Pouvez-vous développer cette idée selon laquelle vous représentez, à travers votre relation personnelle, une relation politique entre deux pays?

L’histoire de la relation entre le Japon et la Chine est longue et compliquée. C’est une histoire souvent tendue, parfois hostile. Mais en même temps, ces deux pays ont tous deux une grande influence l’un sur l’autre. Nos histoires s’entremêlent. Je vois donc cette histoire comme une relation d’amour et de haine,comme l’histoire de mon couple. Je pense que toute personne ayant été en couple a fait l’expérience de cette dynamique amour/haine à un moment donné. Peu importe l’intensité de l’amour que l’on peut ressentir pour une personne, il ya toujours des moments où l’on ne peut plus supporter son amoureux. La haine émane alors de l’amour, car l’amour n’est idéal que dans notre imagination. Un grand nombre de mes photos peut être expliqué par le mélange de l’amour et de la haine: par exemple, quand je l’embrasse et que je l’étrangle en même temps, ou quand un câlin semble à la fois tendre et agressif. Une histoire amoureuse se construit avec deux amants, qui sont aussi deux rivaux. Cependant, je suis convaincue que l’on doit rester ensemble et toujours réparer, repriser notre relation, tout comme nos pays.

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Pixy Liao, "Breast Spray", 2015, vidéo "Milking the Garden", 2mins 1sc. Avec l'autorisation de l'artiste.

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Pixy Liao, "Breast Spray", 2015, vidéo "Milking the Garden", 2mins 1sc. Avec l'autorisation de l'artiste.

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Pixy Liao, "Breast Spray", video, 2015. Avec l'autorisation de l'artiste.

“Le public chinois et asiatique se sent plus concerné par mon travail. Parce que l’on vient du même contexte culturel. Quand j’expose en Chine, il y a toujours des jeunes filles et des femmes qui viennent me parler, me dire à quel point elles aiment mon travail.”

Pixy Liao

DoorZine : Vos photos ont déjà été exposées en Chine, dans des publications et des galeries privées. Quel accueil avez-vous reçu de la part du public chinois? Y a-t-il des différences entre l’accueil du public chinois et l’accueil du public occidental qui vous ont marquée?

A la différence des publics occidentaux, le public chinois, en général, ne connaît pas très bien l’art contemporain, l’histoire de l’art, et n’a pas une approche très ouverte de la sexualité. Quand j’expose dans des galeries en Chine, je ne vois pas vraiment de différence entre l’accueil du public chinois et celui du public occidental; mais c’est vrai que je reçois plus de questions bizarres si j’expose en public en Chine. Dans les pays occidentaux, je n’ai pas ce problème. En général, j’ai l’impression que le public occidental apprécie mon travail — peut-être parce qu’ils pensent que c’est rafraîchissant de voir des représentations différentes par rapport au clichés de genre, en particulier venant d’artistes asiatiques. Cependant, même si mon travail est plus facilement reçu en Occident, j’ai toujours l’impression qu’il est vu comme autre. Que mes photos sont vues comme la représentation de sujets étrangers — qu’on les aime ou non. Le public chinois et asiatique se sent plus concerné par mon travail. Parce que l’on vient d’un même contexte culturel. Quand j’expose en Chine, il ya toujours des jeunes filles et des femmes qui viennent me parler, me dire à quel point elles aiment mon travail.

DoorZine : Pouvez-vous nous en dire plus de PIMO,votre projet music avec Moro?

Moro et moi avons un groupe qui s’appelle PIMO. Nous avons commencé à faire de la musique ensemble en 2011. Ça a commencé quand Moro en a eu marre de sortir pour aller répéter avec les autres membres de son groupe, tous des hommes, et qu’il voulait juste rester à la maison faire de la musique. Et moi, je suis à la maison. Dans notre groupe, Moro est le leader. Il compose, joue, enregistre, il fait pratiquement tout, et moi, je ne fais que chanter. On chante des chansons qui parlent de nos intérêts communs dans la vie, comme les chats ou les grand-mères. Vous pouvez écouter notre musique ici: pimo.bandcamp.com.

Pixy Liao, « Hang in there », 2015, de la série « Experimental relationship ». Avec l’autorisation de l’artiste.

DoorZine : Sur quel projet travaillez-vous en ce moment?

Je travaille sur un projet qui n’inclue pas Moro, qui se concentre uniquement sur la féminité.

Découvrez en plus sur Pixy Liao sur son site internet :
pixyliao.com
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Pixy et Moro forment le groupe PIMO

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Pixy et Moro forment le groupe PIMO.

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Pixy et Moro forment le groupe PIMO.

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