Art textile: quatre artistes tunisiennes à connaître
Amira Lamti, série RITUELS AUPRÈS D’ELLE , 2024. Photographie numérique, dimensions variables. Courtesy of the artist.
Dans le paysage artistique contemporain en pleine évolution de la Tunisie, une nouvelle génération de femmes artistes visuelles s’affirme avec audace et redéfinit les récits ancrés dans l’identité, la mémoire et la transformation sociale. Héla Ammar (1969), Meriem Bouderbala (1960), Asma Ben Aïssa (1992) et Amira Lamti (1996), présentées dans l’exposition « Le temps creuse même le marbre الدوام ينقب الرخام » à l’Abbaye de Jumièges, mettent en avant des perspectives et des médiums distincts, allant de la photographie politiquement engagée et des installations textiles expérimentales à la vidéographie introspective et à la peinture richement symbolique.
Suturer les failles de la mémoire
Héla Ammar est une artiste photographe née en 1969 à Tunis, qui vit et travaille à La Marsa (Tunisie). Son travail ne cesse de creuser, d’interroger les notions de mémoire, d’identité et de temps, en corrélation avec les récits historico-politiques de la Tunisie.
Petite-fille et arrière-petite-fille de figures politiques engagées dans le combat pour l’indépendance, Héla Ammar explore dès lors deux voies parallèles. D’une part, un travail photographique sur les marges et sur les discriminations à l’œuvre dans la société tunisienne aujourd’hui , où domine le portrait : détenus, femmes, personnes queer, personnes noires, journalistes et militants pour la liberté d’expression… D’autre part, un travail plastique à partir d’archives personnelles et historiques afin de questionner les mécanismes de la mémoire collective et la manière dont les événements du passé sont perçus et transmis.
Pour Héla, travailler avec des archives permet de reconnecter le présent au passé, de remettre en question les récits historiques établis, et de donner voix à des perspectives invisibilisées ou oubliées. En tissant des liens entre archives personnelles et officielles à l’aide de fil rouge, elle aborde des questions liées à l’identité, à la mémoire et à l’impact des événements historiques sur les individus et les sociétés. « La révolution tunisienne a libéré l’image de la fonction de propagande à laquelle la dictature l’avait limitée. C’est cette toute nouvelle soif d’images de l’instant présent qui a provoqué, chez moi, une faim des images du passé. Pour paraphraser Derrida, je dirais que j’étais “en mal d’archives’’. Comme si cette présence soudaine d’une Tunisie en pleine effervescence révélait l’absence de tous les pans d’une Tunisie occultée ou reniée. C’est ce qui m’a donné envie de revenir sur les traces du passé et de les relier au présent. »
Portrait d’Héla Ammar
L’artiste inaugure cette recherche en 2014 avec Tarz (« broderie » en arabe), où elle mélange des images d’archives datant de la période de l’indépendance à des photographies qu’elle a prises pendant la révolution et les années qui s’en sont suivi. À travers un processus de vieillissement de ses propres photographies, elle donne à l’ensemble de cette iconographie une homogénéité visuelle qui crée une confusion, ou plutôt un continuum, entre passé et présent. La broderie en fil de soie rouge, couleur du drapeau national, de la passion et du sang, est utilisée pour rehausser des détails : slogans inscrits sur des bannières de manifestation ou sur les murs, symboles du croissant et de l’étoile qui ornent le drapeau national, éléments graphiques à l’intérieur du cadre… Elle relie visuellement des images cristallisant des instants sans connexion évidente.
« En reliant les fragments du passé à ceux du présent, j’ai voulu combler ces espaces et tisser un champ temporel unifié… Le fil rouge qui relie ces fragments remonte le temps et en constitue le fil conducteur. Il raconte le temps et le transcende. Ici, il traverse une mosaïque transgénérationnelle, et devient symbole de continuité et de transmission. Il prend racine dans les archives et renaît dans l’actualité. Il suture nos blessures et unifie le champ éclaté de notre mémoire. »
Héla Ammar, Tarz (détail), 2014. Broderie sur photographie d'archives. Courtesy de l'artiste.
Héla Ammar, Tawasol, 2021-2022. Photographie numérique imprimée sur diasec, 50 x 50 cm. Courtesy de l’artiste.
Héla Ammar, Tarz (détail), 2014. Broderie sur photographie d'archives. Courtesy de l'artiste.
Héla Ammar, Portrait de famille 3, 2022. Photographie, enveloppe en calque et broderie, 43 x 36 cm. Courtesy de l’artiste.
Héla Ammar, Tarz (détail), 2014. Broderie sur photographie d'archives. Courtesy de l'artiste.
Héla Ammar, Tawasol, 2021-2022. Photographie numérique imprimée sur diasec, 50 x 50 cm. Courtesy de l’artiste.
Héla Ammar, Tarz (détail), 2014. Broderie sur photographie d'archives. Courtesy de l'artiste.
Héla Ammar, Portrait de famille 3, 2022. Photographie, enveloppe en calque et broderie, 43 x 36 cm. Courtesy de l’artiste.
Héla Ammar, Portrait de famille 1, 2022. Photographie, enveloppe en calque et broderie, 36 x 43 cm. Courtesy de l’artiste.
Dans Love Letters (2018-2022), Héla Ammar prolonge la recherche esthétique entamée avec Tarz, et fait un pas de plus en mêlant ses archives familiales à des archives historiques, sa biographie individuelle au destin collectif de son pays. Empruntant aux codes de la correspondance amoureuse, elle révèle la romance improbable entre son grand-père, fils de Hassouna Ayachi, l’un des fondateurs du Destour (premier parti républicain tunisien, fondé en 1920 pour libérer la Tunisie de l’emprise coloniale), et lui-même combattant pour l’indépendance, et une jeune Corse née dans une Tunisie sous protectorat français. Avec l’accord de sa promise tunisienne, le grand-père de Héla Ammar épouse finalement en 1945 les deux femmes sous le régime de la polygamie. La famille s’épanouit à Sousse dans une période charnière de l’histoire de la Tunisie, à laquelle le grand-père de l’artiste prend part politiquement : la fin du protectorat français et la naissance de la République proclamée le 20 mars 1956. Or l’une des premières réformes menées après l’indépendance, sous l’impulsion de Habib Bourguiba, est le Code du Statut Personnel (ou CSP). Cet ensemble de lois modifie profondément le droit de la famille et marque une avancée majeure pour les droits des femmes en Tunisie, notamment en imposant le mariage par consentement mutuel, en interdisant la polygamie, en fixant un âge légal pour le mariage et en facilitant le divorce. Engagée dans le combat féministe, Héla Ammar garde pourtant le souvenir d’une enfance heureuse entre sa mère et ses deux grands-mères dans la maison familiale de Sousse, bercée par deux cultures et dans la fierté d’appartenir à une lignée révolutionnaire.
Meriem Bouderbala est une artiste plasticienne franco-tunisienne. Elle vit et travaille à Tunis. Elle travaille la photographie, la peinture et la scénographie en mêlant matériaux vernaculaires et références aux traditions populaires. Elle questionne l’identité et le corps féminin à travers des autoportraits fragmentés, inspirés de l’orientalisme et de motifs géométriques islamiques. Ses créations, entre kaléidoscope visuel et critique sociale, expriment un dualisme identitaire et une quête de liberté dans un monde en mutation.
« Leurs images, exemplaires d’une forme d’orientalisme, voulaient complaire au colon. Femmes, adolescents des deux sexes, souvent partiellement ou totalement nus, répondaient à une double forme d’assignation : celle d’être réduits à des « indigènes » en même temps qu’à des objets de provocations érotiques. C’est une autre forme de distance, ou de trouble, qui s’installe ici. Le corps sexué n’est pas dissimulé mais assimilé à l’animalité dont le « sauvage » est supposé plus proche. »1 À partir des clichés de Lehnert & Landrock, Meriem Bouderbala se photographie à son tour dans des mises en scène soigneusement composées. Maquillée, parée et ornée de costumes et bijoux traditionnels provenant de différentes régions de Tunisie, laissant paraître ou suggérant les attributs habituels de la séduction (seins, sexe, pieds, jambes, visage), elle rejoue l’imaginaire folklorique et érotique diffusé par les photographes orientalistes. À l’époque, les modèles qui acceptaient de poser étaient des prostituées, des esclaves ou des femmes issues de minorités, complètement assujetties au regard masculin colonial (ou, pour les quelques modèles occidentales, se glissant dans la peau de l’odalisque probablement par jeu sexuel).
Mais à présent, l’artiste est seule face à l’objectif, qu’elle fait fonctionner à l’aide d’un retardateur, « à la fois œil et sujet », écartant le regard voyeur et contrôlant ce qu’elle veut montrer et cacher.
Portrait de Meriem Bouderbala
Meriem Bouderbala, Psykedelik, 2010. Série photographique imprimée sur Diasec, 45 x 65 cm (chaque). Courtesy de l’artiste.
Meriem Bouderbala, Psykedelik, 2010. Série photographique imprimée sur Diasec, 45 x 65 cm (chaque). Courtesy de l’artiste.
Meriem Bouderbala, Psykedelik, 2010. Série photographique imprimée sur Diasec, 45 x 65 cm (chaque). Courtesy de l’artiste.
Comme pour ses autres séries photographiques, Psykedelik (2010) procède d’une méthode : Meriem Bouderbala se met en scène et se photographie à l’aide d’un appareil argentique ou numérique, chez elle ou en studio ; elle produit des centaines d’images, constituant ainsi une base de données ; au fil des années, elle retravaille et manipule à l’aide de logiciels de retouche des images piochées dans cette base. Ainsi, Psykedelik est une des itérations de son projet inspiré par Lehnert & Landrock, inauguré par la série des Bedouinas en 2009.
« Ces femmes que je place en miroir sont des espèces de déesses monstrueuses et fantasmatiques complètement irréelles. Le dédoublement des images contribue à me les faire un peu oublier. Je savais qu’à travers ce double et ses démultiplications, j’obtiendrais la perfection et la monstruosité. C’est ce que j’appelle ma tératogenèse : d’une symétrie parfaite naît une forme monstrueuse. »
Les compositions de Psykedelik accentuent cet effet de diffraction pour ressembler à des visions kaléidoscopiques, rendant le corps presque méconnaissable. La palette de couleurs vives peut rappeler les techniques de colorisation employées par le studio Lehnert & Landrock au début du XXe siècle, comme l’héliogravure rehaussée en trichromie, en quadrichromie ou même à la gouache et au pastel. La multiplication des motifs évoque quant à elle la répétition géométrique qui se trouve au cœur de la tradition visuelle islamique, notamment dans l’architecture, les arts décoratifs et l’enluminure.
Meriem Bouderbala, Skeleton, 2024. Vue de l'exposition "Le temps creuse même le marbre” à l'Abbaye de Jumièges, Jumièges, 2025 Photo : Charlotte Cazenave. Courtesy de l'artiste et Doors Menyi
Meriem Bouderbala, Skeleton, 2024. Vue de l'exposition "Le temps creuse même le marbre” à l'Abbaye de Jumièges, Jumièges, 2025 Photo : Charlotte Cazenave. Courtesy de l'artiste et Doors Menyi
Dans la pensée islamique, Dieu est infini et immatériel, donc non représentable figurativement. Les motifs géométriques expriment cette transcendance par un jeu de répétition infinie, ils évoquent l’ordre divin et la perfection cosmique, et invitent à la méditation et à la contemplation. Ici, le corps s’efface derrière l’ordre mathématique du monde, mais le motif prend parfois la forme d’un sein, laisse entrevoir des pieds nus ou un regard souligné de khôl, et rompt l’harmonie du rythme dans un geste transgressif. La récurrence des motifs fait également sens par rapport au travail des artisanes enfermé dans les étoffes – « le geste séculaire, répétitif, les signes récurrents qui finissent par forger un imaginaire qui nous traverse » – dans un jeu de correspondances entre le geste codifié de la main et les ressources de la technologie contemporaine.
Au côté de Psykedelik, Hypnos / Linceul (2012) prolongent cette réflexion sur le corps comme trace de la présence, et font écho à l’histoire de l’abbaye de Jumièges et à la légende des Énervés de Jumièges, dont les statues de gisants occupent l’espace central.
Le travail de Meriem Bouderbala sur l’iconographie se double ici d’un travail sur la matière. Photographie ? Sculpture ? Installation ? Sur une chaise, Hypnos / Linceul crée la confusion, voire l’effroi : couverture roulée et imprimée d’une photographie issue de la série inspirée par Lehnert & Landrock, on ne sait de prime abord s’il s’agit d’une œuvre ou d’un véritable corps féminin enroulé de tissu (l’image de la femme roulée dans un tapis fait référence à plusieurs récits historiques et représentations artistiques liés à « l’Orient », notamment le stratagème de Cléopâtre pour rencontrer Jules César).
Découvrir le travail de Meriem Bouderbala sur Instagram.
Donner forme à un matrimoine immatériel
Portrait d’Asma Ben Aïssa
Asma Ben Aïssa est une artiste plasticienne tunisienne née en 1992 à Bizerte. Elle vit et travaille à Tunis. Qu’il s’agisse d’œuvres textiles, de sculptures ou d’installations, son travail explore les thèmes du paysage, de l’architecture, des transformations sociales et de la transmission, à travers l’utilisation de techniques artisanales qu’elle manie de façon expérimentale.
Avec Woven Window| نافذة من نسيج , projet amorcé en 2022, l’artiste Asma Ben Aïssa intègre pour la première fois la photographie à une pratique textile qui depuis ses débuts ne cesse d’interroger les notions d’espace, d’architecture et de paysage. Photographies brodées, montage sonore et œuvres textiles se mêlent dans une installation ayant pour thème un patrimoine – ou plutôt un matrimoine – immatériel typique du nord de la Tunisie : le point de broderie barmakli (برمقلي), particulièrement utilisé pour orner les voiles de mariée, les robes traditionnelles et le linge de maison de motifs géométriques, floraux ou d’arabesques. Réalisée avec un fil épais sur un tissu fin (souvent du lin ou du coton), cette technique requiert un savoir-faire exceptionnel, transmis à travers l’oralité et le geste, de mère en fille, par des brodeuses expertes, à l’intérieur de l’espace domestique (patio). Désireuse d’apprendre et de documenter ce savoir-faire, Asma est également attentive aux caractéristiques spatiales du barmakli, qui avec ses motifs répétitifs et ajourés, ressemble aux moucharabiehs.
Si elles permettent de réguler l’air et la lumière, ces grilles en bois ajourées utilisées dans l’architecture traditionnelle arabo-musulmane ont également une fonction sociale : elles permettaient aux femmes de voir à l’extérieur sans être vues, préservant l’intimité féminine et respectant les normes de séparation des sexes traditionnellement en vigueur. Ainsi le moucharabieh jouait traditionnellement un rôle d’agent de contrôle du regard : il illustre la manière dont l’architecture a été utilisée pour contrôler la visibilité des femmes dans l’espace public tout en leur laissant une certaine marge d’observation et de participation indirecte à la vie sociale.
Comment témoigner de la richesse de cette tradition et de ces expériences portées par des femmes, sans ignorer les structures spatiales, sociales, culturelles ayant historiquement régi leurs pratiques ? De ses rencontres avec les maâlmat (une maîtresse artisane, une femme hautement qualifiée et reconnue pour son expertise dans un métier traditionnel), Asma Ben Aïssa tire une matière documentaire singulière. À défaut de leur tirer le portrait, elle photographie les pièces sur lesquelles elles travaillent, leurs gestes, leurs métiers à broder, leurs ateliers. Elle enregistre leurs paroles – et leurs silences. Puis elle imprime ces images fragmentaires sur du papier coton qu’elle vient broder par endroits : la photographie joue alors un rôle d’archive, de trace d’une pratique intangible – trace d’autant plus concrète qu’elle est ornée de fils et de perles, resplendissant d’éclats d’or et de couleurs vibrantes. Mais elle sert également à l’artiste-apprentie de canevas : puisque les maâlmat ne peuvent lui transmettre leur savoir-faire, la photographie lui servira de guide pour percer le mystère d’une technique. Et c’est dans un aller-retour permanent entre la photographie et le textile, l’image et la matière, le respect de la tradition et l’audace créative, qu’Asma Ben Aïssa patiemment (se) forme.
Asma Ben Aissa, Intimité brodée (détail), 2024. Broderie sur photographies imprimées sur papier coton, 15 x 22 cm. Courtesy de l’artiste.
Asma Ben Aissa, Intimité brodée (détail), 2024. Broderie sur photographies imprimées sur papier coton, 15 x 22 cm. Courtesy de l’artiste.
Asma Ben Aissa, Intimité brodée (détail), 2024. Broderie sur photographies imprimées sur papier coton, 15 x 22 cm. Courtesy de l’artiste.
« Nous n’avions aucun loisir, si ce n’est de nous retrouver dans les patios du matin au soir pour apprendre la broderie… C’était dans les années 70. J’observais ma sœur broder sa robe de mariée et, point par point, j’apprenais. Lors des mariages, encore enfant, je m’asseyais aux côtés des femmes pour scruter leurs gestes, enregistrant dans ma mémoire chaque nœud, chaque motif. Ainsi, petit à petit, je suis devenue maâlmat, maîtresse brodeuse »
Témoignages de maâlmat (extrait de la bande-son de Woven Window)
Vue d’exposition Le temps creuse même le marbre, Abbaye de Jumièges, 2025. Photo : Charlotte Cazenave
Avec l’installation Woven Window, Asma invente une archive vivante, collective et hybride, où la fragilité d’un savoir-faire et les existences des femmes dérobées au regard extérieur, qui l’ont transmis de génération en génération, sont restitués dans une forme où s’entrelacent enregistrements sonores, photographies et broderies composées à plusieurs mains par l’artiste et les maâlmat à qui elle rend hommage. À travers une œuvre empruntant le chemin de l’expérimentation, l’artiste ne se contente pas de créer pour elle-même : elle réinscrit dans la mémoire collective les voix effacées de ces femmes et transcende les frontières entre l’intérieur et l’extérieur, le savoir-faire vernaculaire et le patrimoine historique, les univers féminin et masculin. Elle nous invite à redécouvrir la force subversive d’un simple fil guidé par des mains de femme, quand chaque point devient un geste de révolte intime ou un acte de mémoire.
Réinventer un héritage familial et un rituel ancestral
Amira Lamti. Photo : Amira Lamti
Amira Lamti est une artiste visuelle tunisienne née en 1996 à Sousse, où elle vit et travaille. Elle utilise dès ses débuts la photographie et la vidéo comme moyens de capturer des fragments de son quotidien, des moments, des gestes, et des rituels. Son travail questionne des notions telles que l’héritage et la transmission.
Comme l’indique le titre de son projet réalisé en 2024, Amira Lamti est « Bent el Machta », fille et petite-fille de machta. La machta est une figure traditionnelle dans les rituels de mariage de la région du Sahel tunisien, dont l’artiste, née à Sousse, est originaire. Elle prépare et accompagne la jeune mariée pour la jelwa, une cérémonie pré-nuptiale dont la femme est le centre, marquant son passage de la vie de jeune fille à celle d’épouse, du foyer familial à celui de son mari.
Amira ne s’intéresse pas seulement à une femme, mais à une lignée et un rituel féminin au sein desquels une pratique ancestrale s’est transmise et a survécu à travers le temps. Cette pratique, faite de gestes, de croyances, de chants, de vêtements et de prières, à la frontière du sacré et du profane, mêle des influences diverses : punique, amazigh, musulmane, juive. Pourquoi et comment continuer à perpétuer aujourd’hui cette tradition dont elle est héritière ? Juxtaposant photographie, performance, impressions textiles, archives familiales et artefacts, l’artiste explore les multiples couches de signification de cette cérémonie, où les gestes rituels deviennent des passerelles entre l’expérience individuelle et la mémoire collective.
Dans Bent el Machta, Amira Lamti opère un certain nombre de déplacements et de détournements par rapport au rituel traditionnel. Puisant dans les ressources familiales, elle réalise une série d’autoportraits où elle apparaît, non pas en machta, mais en mariée – portant le costume traditionnel, les mains colorées par le henné et le visage maquillé de motifs distinctifs. Jouant à son tour à la machta, derrière l’objectif, elle pose la kufiya (voile orné qui couvre la tête et le visage de la mariée avant son dévoilement) sur les membres de sa famille appartenant à sa génération : une cousine déjà mariée depuis dix ans, une autre née au Danemark, et son frère – pourquoi pas après tout profiter de ce voile pour subvertir le rituel l’air de rien ? Elle sort ses « mariées » de l’espace domestique pour les faire poser à l’extérieur, dans des décors naturels somptueux comme la plage ou les salines de Sousse.
Pour Amira Lamti, faire poser un homme permet d’interroger les représentations et le rôle traditionnellement attribués aux femmes dans l’institution patriarcale du mariage. Son frère témoigne ainsi de son expérience de modèle : « J’ai trouvé un peu étrange que ma sœur Amira me demande de poser avec ce vêtement traditionnel féminin, surtout en public, sur la plage en été à Sousse où tout le monde connaît la fonction de ce vêtement.
Elle n’arrêtait pas de me dire : “Pourquoi pas les hommes, puisque le rituel est lié à la fertilité ?’’ Et je lui répondais : “Pourquoi au bord de la mer ? Et pourquoi moi ?’’ J’ai alors réalisé qu’il ne s’agissait pas seulement de vêtements, mais aussi du rituel, de sa transmission et de la façon dont il est perçu. »
Sur la performance « Wled el Machta » présentée dans le vernissage de l'exposition « Le temps creuse même le marbre » à Jumièges, les deux artistes Amira et Rochdi partagent leurs idées et leurs réflexions derrière cette production.
Dans le cadre de la soirée « Comme à Tunis » au Book Bar de l'Hôtel Grand Amour, Rafram Chaddad, Victoria Jonathan et Joseph Hirsch ont discuté du livre «The Good Seven Years» de Rafram Chaddad.
ARTISTESRAFRAM CHADDAD, JOHANN BARICHASSE, SHAROUH
COMMISSAIREVICTORIA JONATHAN
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