La danse populaire tunisienne, riche de ses multiples facettes, joue-t-elle un rôle de mémoire et de transmission dans cette performance ? Comment la danse peut-elle à la fois préserver et réinventer des traditions anciennes, notamment celles liées au rôle des femmes dans la société tunisienne ?
Rochdi : Je travaille sur les danses populaires tunisiennes depuis 2011, année de la révolution. Ces danses véhiculent une esthétique et une symbolique profondément liées à la vie quotidienne en Tunisie. Elles sont en effet porteuses de mémoire, et vectrices de transmission culturelle au sein même de la société. À travers elles, une forme d’identité ou de singularité tunisienne émerge en creux dans ce travail performatif. En explorant des danses comme la Fazani, la Jelwa ou la Bounaouara, je souhaitais interroger la relation entre la contemporanéité et la dimension populaire de ces pratiques. Sortir ces danses de leurs contextes sociaux et culturels pour les inscrire sur une scène expérimentale est un geste délicat : le risque est toujours de les priver de leur charge symbolique et historique. Conserver tout en réinventant, tel était l’objectif de ce parcours débuté il y a quatorze ans. Ce travail permet aussi d’explorer les rapports de genre et les tensions entre féminité et masculinité en danse. Les danses dites féminines sont ici exécutées par un corps masculin, et inversement. Ce inversion des rôles et le brouillage des limites entre lféminin et masculin crée une forme de vertige. Les danses féminines que j’ai choisies pour cette performance sont liées au rituel nuptial et à la célébration de la fertilité. À travers elles, j’ai cherché à mobiliser et articuler des parties du corps traditionnellement connotées féminines — le ventre, le bassin, les mains — tout en utilisant des objets, accessoires et costumes qui accentuent la féminisation du mouvement du corps masculin.