Métamorphoses de la nature : rendre l’invisible visible
À travers des dispositifs d’intervention et des installations, Charlotte Charbonnel sonde l’origine de la matière et fait émerger des formes à partir d’environnements et de phénomènes naturels. Entre fascination et manipulation, l’artiste s’imprègne des éléments naturels tout en les contraignant dans des formes qu’elle imagine. Pour réaliser la série Météaura (2020), elle a eu accès, lors d’une résidence à La Halle, à un site extraordinaire dans le Vercors : le Jardin des fontaines pétrifiantes, où les chutes d’eau, riches en calcaire, transforment tout objet en pierre. Elle a laissé plusieurs mois des ardoises sous les fontaines, enlevé une plaque tous les deux jours et laissé l’eau dessiner la trace de son passage. Sur certaines pierres, le calcaire a juste effleuré la surface, sur d’autres, il sédimente. L’œuvre est ainsi une relique qui fige la variation de la matière sous l’action de l’eau, en même temps que l’eau pétrifiante seconde l’artiste dans son geste sculptural. Ces motifs tracés de façon aléatoire par l’action conjointe de la nature et de l’artiste peuvent pourtant faire penser à des images de radar qui captent les ondes électromagnétiques ou aux lumières visibles dans le ciel lors de la chute de météorites – comme l’esquisse le titre. Laissant faire le mouvement
et l’indétermination, les différents processus que Charlotte Charbonnel met en place constituent un levier pour une pensée magique. En donnant à voir le pouvoir transformateur de la nature, l’artiste réveille notre capacité à nous émerveiller. Amatrice de néologismes créés à partir de termes techniques ou savants, Charlotte Charbonnel opère un retour vers les débuts de la photographie avec ses Ambrolitotypes (2017- 2019) : se servant de procédés oubliés datant des années 1850 – le collodion humide et l’ambrotype –
dont elle apprécie le potentiel d’expérimentation et d’alchimie, l’artiste dresse le portrait de pierres. Ces techniques anciennes, qui sollicitent la manipulation de minéraux (potassium, sodium, cristaux d’argent…) et l’utilisation de plaques de verre, permettent de jouer sur la matière et les surfaces, et de créer une impression de profondeur. Cherchant à semer le trouble entre l’objet perçu et l’objet réel, l’artiste explore le potentiel sculptural de la photographie à travers la superposition d’images et la construction d’une structure géométrique permettant d’archiver l’empreinte de la pierre.
Pierres extraterrestres et phénomènes étranges
Ces considérations entrent en correspondance avec le travail de Jonathan Bréchignac (né en 1985) sur le minéral. Dans ses séries Alien Rocks et Stone Balancings, commencées en 2018, l’artiste façonne, à partir
de roches trouvées dans la nature (dans sa Provence natale ou dans les calanques de Marseille), de fausses pierres en matières synthétiques (résine époxy, mousse polyuréthane, béton, acrylique, peinture à effet…), qui se parent de couleurs fluo et d’effets iridescents. Au croisement du mythe populaire, de la géologie et
de la science-fiction, l’artiste propose d’élever les pierres au rang d’espèce vivante et émet l’hypothèse d’une nouvelle théorie évolutionniste centrée sur le minéral : il parle d’un « darwinisme des pierres ». De la formation des roches durant les temps géologiques aux inscriptions gravées sur leur surface dès l’Antiquité, parfois sacralisées ou dotées de propriétés ésotériques, leur nature immobile et immuable a fait des pierres des témoins privilégiés de l’Histoire. L’ère de l’Anthropocène (qui désigne la période de l’histoire géologique contemporaine durant laquelle l’impact de l’homme sur l’environnement est si important qu’il peut être comparé à une force géologique majeure) inaugure un nouveau stade de l’espèce en donnant lieu à la formation de « plastiglomérats », agrégats de matières naturelles et de matières d’origine synthétique – en particulier issues de la pollution plastique. Le projet Sailing Stones, série de pierres en mousse polyuréthane peinte en trompe-l’oeil qui s’animent grâce à des capteurs et à un logiciel spécialement programmé, tire son nom d’un phénomène difficilement explicable : des roches qui se déplacent et inscrivent de longues traces dans le désert du Nevada et dans la Vallée de la Mort. Nourrissant les hypothèses les plus folles, ces pierres mouvantes ouvrent un nouvel horizon de pensée du vivant : et si les roches voulaient s’exprimer dans un langage que nous ne savons pas encore décrypter ?