Edward Burtynsky : « Je m’intéresse surtout à l’humanité à travers l’expression de systèmes industriels à grande échelle »

Portrait de Edward Burtynsky. © Edward Burtynsky. Avec l’autorisation de Nicholas Metivier Gallery, Toronto / Flowers Gallery, Londres.

Edward Burtynsky est né en 1955 à St. Catharines (Canada) et vit à Toronto. Il est un photographe internationalement reconnu qui, depuis trente-cinq ans, se consacre à dépeindre les paysages industriels et les transformations de la nature par l’homme à travers le monde. Ses œuvres ont intégré les collections d’une soixantaine de musées, tels que le MoMA et le Guggenheim de New York, le musée Reina Sofia de Madrid, la Tate Modern à Londres, le LACMA à Los Angeles…

Son travail sur les questions écologiques l’a mené en Chine dans les années 2000, où il a créé plusieurs séries photographiques soulignant les conséquences humaines et environnementales de la modernisation. Ses grands formats mêlent approche documentaire et créative, transformant les paysages en des lieux de paradoxes où règnent à la fois le calme et l’incertitude, l’aliénation et le sublime. Sans condamner ni glorifier l’industrie, ses images doivent pour l’artiste permettre au public de comprendre l’origine des biens de consommation que nous utilisons quotidiennement et l’échelle des transformations du paysage nées de notre poursuite du progrès – « regarder le paysage industriel comme une façon de définir qui nous sommes et notre relation à la planète. »

Edward Burtynsky fait partie des artistes de l’exposition « Les flots écoulés ne reviennent pas à la source »

DoorZine : Depuis les années 80, votre travail se concentre sur la nature telle qu’elle est transformée par l’industrie. Votre approche est globale : vous avez mené des projets en Amérique du Nord, en Inde, au Bangladesh, en Asie, en Australie, en Europe et en Russie. Dans le livre et dans le documentaire Manufactured Landscapes (2003 et 2006), vous vous intéressez aux effets de l’industrialisation sur l’environnement, et vous permettez au public de comprendre l’origine des biens de consommation qu’ils utilisent quotidiennement ainsi que l’échelle des transformations du paysage né de notre poursuite du progrès. Vous dites que votre projet est une manière de ≪ regarder le paysage industriel comme façon de définir qui nous sommes et notre relation à la planète. ≫

Quelle place tiennent vos séries réalisées en Chine, et plus particulièrement sur le site du barrage des Trois Gorges, dans le contexte plus large de votre travail ?

Edward Burtynsky : Mon travail en Chine a été réalisé à une période où la ≪ machine ≫ industrielle chinoise accélérait la cadence et fournissait des produits bon marché au monde entier. C’était pour moi un signe très clair de la façon dont le XXIe siècle commençait à se dérouler. Considérant la taille massive, en constante expansion, du marché global, je me suis intéressé à la Chine pour observer l’échelle gigantesque des systèmes industriels que le pays était en train de développer, avec un intérêt particulier pour l’extraction de ressources, la fabrication et le transport d’importantes quantités de produits, et le recyclage des déchets du monde entier – tout cela avec une ampleur inouïe.

DoorZine : Dans cette série, vos images montrent la destruction, la construction, la transformation du paysage, davantage que la destinée des hommes dont la vie a été affectée par le barrage. Les hommes sont presque absents de vos images. Pourquoi ?

Ce n’est pas tout à fait exact. Il y a beaucoup d’images dans ma série sur les Trois Gorges qui incluent des hommes. Mais pour ce qui concerne les images dont les hommes ne sont pas le point central, j’étais davantage concentré sur la manifestation du passage de l’homme et la transformation par sa main du paysage de façon colossale – une extension conceptuelle du projet de ma vie, qui anime toute mon œuvre photographique. Je m’intéresse surtout à l’humanité à travers l’expression de ≪ systèmes ≫ industriels à grande échelle – les atteintes à la planète par l’homme dans le but de réaliser la croissance et le progrès par tous les moyens.

DoorZine : Vous insistez sur le fait que votre travail n’est ni une glorification ni une critique de l’industrie. En créant des images belles et saisissantes, vous souhaitez rendre le public témoin de l’impact de son mode de vie sur l’environnement, et sensibiliser l’opinion sur les conséquences de l’action humaine sur le paysage. Quelle est pour vous la fonction de l’art et de la photographie ?

Pour moi, la fonction de l’art est d’éveiller les consciences… fournir de nouvelles informations, aider les gens à réfléchir à ce qu’ils voient, d’un point de vue à la fois pratique, spirituel et esthétique. Dans mon cas, les potentielles conséquences de nos actions avides sur la planète. Il est très important pour moi que mon travail engage un dialogue profond avec le public, d’abord visuellement, puis à partir de là, leur montrer quelque chose qu’ils n’ont jamais vu, au service d’une meilleure compréhension et j’espère d’une meilleure participation à la conversation que nous devons avoir sur l’état de l’écologie mondiale.

Edward Burtynsky, “Barrage #6, Projet de Barrage des Trois Gorges, Fleuve Yangzi, Chine”, 2005 © Edward Burtynsky. Avec l’autorisation de Nicholas Metivier Gallery, Toronto / Flowers Gallery, Londres.

DoorZine : Dans votre préface au livre Anthropocène (Steidl, 2018), vous écrivez :

≪ Ma compréhension du temps profond et de notre relation à l’histoire géologique de notre planète remonte à ma passion précoce pour la nature. (…) Notre planète a été témoin de cinq grandes extinctions. (…) Il s’agissait de phénomènes naturels liés à l’évolution du vivant. Aujourd’hui, il devient clair que l’humanité, avec son explosion démographique, son industrie, sa technologie, est également devenue, en une très courte période, un agent de changement colossal à l’échelle globale. (…) Je vois mon intérêt pour l’anthropocène – les marques indélébiles laissées par l’espèce humaine sur la face géologique de notre planète – comme une extension conceptuelle de mes obsessions premières et principales en tant que photographe. ≫

Comment appliquez-vous ce cadre théorique à votre pratique artistique ? A-t-il modifié la forme de votre travail ? Votre projet Anthropocène est presenté comme ≪ un corpus multidisciplinaire mêlant photographie, film, réalité virtuelle et recherche scientifique pour explorer l’influence de l’homme sur l’état, la dynamique et le futur de la Terre. ≫

Quand je repense à mes débuts, me revient toujours en tête un devoir m’ayant été donné par mon professeur et mentor lors de mes études de photographie : ≪ la preuve de l’homme ≫. Ce devoir a en réalité constitué le point focal de toute ma carrière. Le projet Anthropocène est simplement la prolongation d’une exploration qui a guidé toute ma vie, la recherche de la preuve laissée par les hommes dans leur quête du progrès. Ce projet m’a effectivement également permis d’expérimenter avec de nouvelles formes. Diversifier les aspects formels, en utilisant la réalité augmentée, des installations filmiques ou des fresques photographiques avec des données scientifiques, c’est simplement pour moi une façon de plonger encore plus profondément dans le processus créatif de fabrication des images, et de transmettre mon intention première au public.

Edward Burtynsky, « Urban Renewal #1. Factory Construction, Outside Shenzhen, Guangdong province, China. », 2004. © Edward Burtynsky.

Entretien mené par Victoria Jonathan & Bérénice Angremy.

Retrouvez l’intégralité de l’interview d’Edward Burtynsky dans le catalogue bilingue franco-chinois de l’exposition “Les flots écoulés ne reviennent pas à la source”, disponible à la vente à partir du 15 juillet 2020 sur le site de Bandini Books !

Pour en savoir plus sur le travail d’Edward Burtynsky sur son site Web : edwardburtynsky.com

et sur ses réseaux sociaux :

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Edward Burtynsky est représenté par les galeries Nicholas Metivier (Toronto) et Flowers (Londres).

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